Vœux de Sarkozy pour 2011 : Un ethos de chef en période de crise ?

Le message délivré par Sarkozy en ce 31 décembre 2010 est un discours de justification, alarmiste, un discours de rigueur et de fermeté, proche dans son lexique d’un discours chiraquien.

Caractéristiques quantitatives

Sur le plan de la longueur, le discours de 2010 se situe dans le même ordre de grandeur que les années précédentes, 1184 mots cette année, 1074 et 1055 mots les années précédentes. Son tout premier message comptait un nombre plus important de formes avec 1400 mots, c’était même un des 3 plus longs messages de la cinquième République.

Sarkozy rentre dans le rang ?

Une expérience d’analyse factorielle des correspondances semble montrer que le message de décembre 2010 mobilise un lexique plus proche des autres présidents de la République, alors que les trois premiers messages étaient assez dispersés et éloignés de l’ensemble du corpus, donc soumis à d’importantes variations. On notera en particulier une proximité de 2010 avec les messages de Chirac.

Sur une partition par locuteur, l'opposition la plus forte réside désromais entre De Gaulle et Sarkozy. La proximité avec Chirac est manifeste, induite par le discours de 2010.

Un discours chiraquien ?

Dès la première phrase du message de Sarkozy on constate un certain nombre de similitudes avec les discours de Chirac :

«1996 a été une année difficile pour beaucoup d'entre nous. Je le sais. Pourtant, je reste confiant. Car la France change. la France se modernise. Les Français se mobilisent. Je suis impressionné, lors de mes déplacements, par ces Français que je rencontre et qui s'engagent, toujours plus nombreux, ici pour insérer des exclus, là pour préserver un patrimoine culturel, là encore pour créer une nouvelle activité, gérer autrement une entreprise, former des jeunes, lutter contre l'illettrisme.» (Chirac, 1996)

{{ L'année 2010 s'achève. Je sais qu'elle fut rude pour beaucoup d'entre vous. La crise économique et financière, commencée il y a 3 ans, a continué à faire sentir ses effets et nombreux furent ceux qui ont perdu leur emploi ce qui n'a fait qu'exacerber le sentiment d'injustice ressenti par des salariés qui n'étaient en rien responsables de la crise. Pourtant grâce au travail des Français, à leur courage, à leur capacité d'adaptation, à la force de notre économie, aux avantages de notre modèle social, la récession fut moins sévère et d'une durée plus courte que ce que connurent nombre de nos partenaires. (SARKOZY 2010)}}

On ne manquera pas de souligner l’utilisation chez Sarkozy hier soir de cette formule utilisée par Chirac en 2000 : une année utile, lui aussi à 2 ans d’une échéance électorale.

Une opposition entre intérêt général et intérêts particuliers chère à Chirac se trouve aussi évoquée par Sarkozy en ce 31/12/2010.

Mais nous sommes en 2011, nous ne pouvons nous payer le luxe d'une année d'immobilisme pré-électoral alors que le monde avance à une vitesse stupéfiante. 2011 doit donc être une année utile pour les Français. La difficulté ne compte pas lorsque sont en jeu l'intérêt de la nation et le bien commun des Français. Mon devoir est de privilégier en toutes circonstances l'intérêt général.

Il y a d’ailleurs dans la façon de présenter la crise et la nécessité des réformes quelques analogies avec Chirac :

«Il n'est pas facile de réformer. Je le sais. La crise que nous venons de traverser l'a rappelé. Au-delà de la défense d'intérêts particuliers, elle a mis en lumière des inquiétudes, des angoisses face au chômage, face à des réformes trop longtemps différées, face à un avenir incertain. Elle a révélé un manque de confiance dans des pouvoirs qui sont ressentis comme éloignés des réalités quotidiennes et qui n'auraient d'autres réponses aux problèmes de l'heure que l'accroissement des contributions de chacun. Reconnaissons-le, cette crise a pu éveiller, chez certains, quelques doutes par rapport aux espoirs que mon élection a fait naître. Eh bien non ! Ces espoirs, je les porte. Ils ne seront pas déçus. (Chirac, 1995)

Un discours de rigueur et de détermination

On ne manquera pas de souligner le ton alarmiste du discours de Sarkozy, qui fut un discours de rigueur et de détermination. Il n'est pas indifférent que les mots sur employés dans ce discours de décembre 2010 soient: protéger, respect, valeurs, devoir, identité.

la détermination est véhiculée par l'emploi d'un certain nombre de futurs qui ont valeur de volition:

La France tiendra ses engagements (1) Jusqu'à la dernière minute de mon mandat je n'aurai d'autre règle que celle-là Nous allons donc continuer de réformer parce que c'est la seule façon. (2) La loi sera appliquée Il faut continuer, inlassablement Je ne transigerai pas (1) et (2): sont fréquement employés dans le vocabulaire du général de Gaulle: (A COMPLETER)

La crise qui menace la France et l’Europe est utilisée comme justification des réformes engagées.

Après le mot 2011, c’est le verbe protéger qui est le terme le plus fréquent utilisé dans ce message par rapport à l’ensemble du corpus.

Cette réforme est le seul moyen de protéger la France, les français, les personnes âgées, l’Europe, des menaces qui planent sur eux. C’est donc sur la thématique de la peur que joue principalement Nicolas Sarkozy.

Un discours de Crise ?

Nicolas Sarkozy évoque la crise dès les premiers mots de son discours, comme il le fit les trois années précédentes.

Si le mot CRISE est très largement sur employé chez Sarkozy par rapport à ses prédécesseurs, ce sur emploi est dû au message du 31/12/2008 et non à celui du 31/12/2010.



La crise, lieu commun des voeux présidentiels

Plus encore, la crise, est présente dans tous les vœux ou presque de tous les présidents de la cinquième République. Elle est souvent accompagnée d’une métaphore climatique, et souvent, d’ailleurs, la France s’en sort mieux ou un peu mieux que les autres.

L’énoncé qui suit est d’ailleurs emblématique du genre : (2010)

L’Europe dans la tempête a su faire face, certes pas assez complètement et souvent pas assez rapidement, mais l’Europe a tenu et l’Europe nous a protégés :

Ici plusieurs procédés sont largement employés : Le premier consiste à reconnaître le caractère perfectible d’une action ou d’un résultat, souvent d’ailleurs autour du verbe savoir.

Chez Pompidou par exemple

POMPIDOU “Personne ne peut nier, même si tout le monde, je le sais, n'a pas encore le logement qu'il désire, que la France soit, à l'heure actuelle, le pays au monde qui fait le plus gros effort en faveur du logement.” (Pompidou, 1972)

“Il y a, je le sais, la hausse des prix dont les mères de famille se plaignent à juste titre. mais il faut savoir, et je voudrais que vous compreniez, qu'en Angleterre, en Hollande, en Belgique, en Suisse, en Italie et même en Allemagne, la hausse des prix est, à l'heure actuelle, aussi rapide ou plus rapide que chez nous. c'est la preuve qu'il s'agit d'un phénomène international profond, auquel nous ne pouvons pas échapper et qui ne sera dominé que par une action internationale, action qui est d'ailleurs déjà amorcée à l'échelle européenne, à notre initiative.” (Pompidou, 1972)

Le deuxième procédé relève de la métaphore climatique :

Depuis quatre ans, tous sont touchés. A quelques signes, on reconnaît que cette crise commence à refluer lentement, comme une inondation qui se retire. Mais il faut diriger et hâter ce reflux pour réorganiser rapidement notre économie, développer l’emploi, et aider les régions les plus touchées à reprendre confiance. Ce sera l’effort du gouvernement en 1979. (VGE, 1978)

Comme la plupart des pays du monde, nous venons de vivre une année difficile. La crise, qui jusqu’alors frappait l’Europe, s’aggrave aux Etats-Unis d’Amérique, gagne le Japon, dévaste le Tiers-monde. Elle est universelle. Prise dans la tourmente, la France, mieux que les autres, a soutenu à la fois sa croissance, son budget, sa lutte contre le chômage. Plus que les autres, elle a défendu le pouvoir d’achat des moins favorisés. Plus tard que les autres, elle a réduit, mais pas assez, son inflation. Elle s’est moins bien comportée que les autres sur les marchés extérieurs. Voilà la vérité. (Mitterrand 1982)

Soyons résolus et le ciel s’éclaircira, soyons unis et l’avenir nous récompensera. Françaises, Français, du fond de mon coeur, je souhaite que l’année 1974, malgré quelques bourrasques, vous apporte à chacune et à chacun de la joie dans votre vie personnelle, familiale, dans vos projets.(Pompidou, 1973)

A vous, mes compatriotes, mes voeux s’adressent à votre mieux-être, à la qualité de la vie et à l’unité des Français. Le mieux-être, parce que nous avons traversé une crise sévère, mondiale, dont nous avons cherché à limiter les effets sans pouvoir agir directement sur ses causes. Le ciel de l’économie s’éclaircit. Je souhaite que ce soit à votre avantage, afin que vous viviez mieux en 1976 du produit de votre travail, dans une société plus active, plus juste et plus solidaire. (VGE, 1975)

Mes chers compatriotes de métropole, d'outre-mer et de l'étranger ; grâce à vous, grâce à votre engagement, grâce à votre esprit de responsabilité, l'horizon s'éclaircit, notre pays est désormais sur le bon chemin. (Chirac, 2003)

Les figures rituelles :

Les vœux sont caractérisés par un certain nombre de formules rituelles, de figures imposées présentes dans toutes les allocutions depuis Pompidou. Les années précédentes, Sarkozy les a souvent contournées ou remaniées. Voir les billets précédents.

La figure de l’omniscience présidentielle et de l’empathie :

En 2007 Sarkozy reprenait cette figure rituelle construite autour du verbe savoir au présent de l’indicatif, chère à Jaques Chirac mais que l’on retrouve chez tous les présidents de la République à partir de Pompidou : JE SAIS

SARKOZY : 2007

Je sais les craintes que beaucoup d’entre vous éprouvent pour l’avenir de leurs enfants. Je sais combien est grande votre attente d’un changement profond Je sais l’angoisse qui vous étreint quand vous avez peur de perdre votre emploi… Je sais votre exaspération quand vous voulez entreprendre ou quand vous voulez travailler davantage…

En 2010, cette formule est réduite à deux énoncés. Seul le premier répond véritablement au schéma général.

1. mes chers compatriotes , l ' année 2010 s ' achève . je sais qu ' elle fut rude pour beaucoup d ' entre vous .

2. . je sais que 2012 sera un rendez - vous électoral de grande importance . mais nous sommes en 2011.

Il convient de souligner que ces deux énoncés répondent à une rhétorique souvent rencontrée dans les vœux :

L’année fut rude pour beaucoup d’entre vous pourtant grâce au travail des français… Je sais que 2012 sera un rendez-vous électoral de grande importance mais nous sommes en 2011…

LES VŒUX :

Comme les années précédentes Sarkozy ne s’attarde pas sur l’expression des vœux au sens rituel du terme, un énoncé seulement conclut le message :

Mes chers compatriotes, je veux vous adresser mes vœux, mes vœux de bonheur les plus sincères et les plus chaleureux pour cette année 2011.

En cela il diffère beaucoup de Giscard pour qui « les vœux étaient vraiment de vœux » selon ses propres termes et qui sur utilisait de mots comme vœux, forme (former des vœux), présente (présenter des vœux), année, bonne, heureuse…

Un discours de justification

Le discours de Sarkozy pour 2011 c’est d’abord la défense d’un bilan et la justification d’une action mais aussi l’assurance que les réformes seront poursuivies, menées à leur terme que les français l’acceptent ou non, on est là dans la confirmation de ce que Sarkozy nous a affirmé tout au long de son mandat dans les moments de crise : il ne renoncera pas, ne reculera pas. « Je ferai mon devoir en écoutant, en dialoguant, mais lorsque le moment sera venu en prenant les décisions qui s’imposent dans un esprit de vérité et de justice ».

Cette réforme présentée comme nécessaire protège les français contre un certain nombre de menaces et c’est l’essentiel de sa justification.

Un discours impersonnel

Erosion des marques de l’énonciation :

La première personne du singulier qui était lors de son premier discours sur employée plus que tout autre message avant lui, a diminué en 2008 puis en 2009 et 2010.

La deuxième du pluriel VOUS : est sous employée en 2009 et 2010 alors qu’en 2007 le sur emploi était très important.

A suivre ...